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Zéro degré in utero

carton rouge 1300

"Zéro degré in utero" un film de Hédi Abidi - 52mn - 2020 - Production En Quête Prod / Lacoupure / SanoSi Productions / France TV

Carole se démène pour élever seule ses quatre enfants, dans un coin isolé sur l’Île de La Réunion. Brandon, son fils aîné demande une attention particulière, il cumule plusieurs déficiences neurologiques et des troubles du comportement. Les médecins ont découvert tardivement qu’il était porteur du syndrome d’alcoolisation fœtale. Carole a bu quelques verres pendant sa grossesse sans savoir qu’elle était enceinte. À 14 ans, son fils est en quatrième mais ne sait ni lire, ni compter. Qui est responsable ? Alors que Carole déploie son énergie pour que Brandon trouve sa place dans la société, le Pr Doray, éminente généticienne, sensibilise, soigne, lutte contre les politiques publiques déficientes et pour bouger les consciences.


Intention du réalisateur

Lorsque j’ai rencontré le Dr Lamblin, pédiatre du centre d'action médico sociale précoce (CAMSP) de Saint-Louis à La Réunion, je ne connaissais rien du syndrome d’alcoolisation foetale (SAF). Il m’expliquait que l’alcool est un toxique très dangereux pour le foetus, même en petite quantité. Qu’il peut provoquer chez l’enfant des malformations lorsque la substance agit lors des trois premiers mois de la grossesse, et des troubles neurologiques les mois restants, soit des handicaps invisibles qui se manifestent par des troubles de l’attention, de la concentration, du comportement, souvent déviant, et une tendance prononcée à l’addiction à l’alcool. Il ajoutait que le SAF peut toucher n’importe qui, aussi bien la femme enceinte en proie à l’alcoolisme que la consommatrice occasionnelle ou accidentelle qui aura bu les quelques verres de trop au mauvais moment. La différence se mesure ensuite par le degré de handicap de l'enfant. Plus de 8 000 naissances par an en France sont concernées et 5% à La Réunion. Parce que tout dépend uniquement de la consommation, cette pathologie est totalement évitable.

A chaque nouvel argument, je prenais conscience de l’ampleur du problème. Ses conséquences touchent l’ensemble de la société. Les chiffres avancés par l'équipe de chercheurs du CAMSP parlent d'eux-mêmes. Concernant l’éducation nationale, 50% des adolescents et adultes concernés par le SAF ont été confrontés à des interruptions de scolarité. Les enseignants, s'ils étaient mieux informés, auraient sûrement une approche différente envers l’enfant atteint de troubles du comportement. Il ne serait plus le cancre, l'élève agité, ou « l’idiot du village », mais un enfant qui nécessite des soins spécifiques.

Autre chiffre édifiant, 50% des personnes concernées par le SAF sont incarcérées. Leur comportement déviant serait induit par une déficience neurologique ; ce à quoi se surajoute le processus d'exclusion sociale lié aux jugements dus à la méconnaissance du syndrome. Cela a-t-il été pris en compte dans le jugement ? Pourrait-on diminuer la criminalité avec une simple politique de santé préventive ? Ajoutons le coût de la prise en charge. Il s'élève de 600 000 à 1 million d’euros selon la gravité du handicap, sur une vie. Multiplié par 8 000 naissances chaque année, on mesure rapidement les économies de santé réalisables par une stratégie préventive.

Comment se fait-il qu’en connaissance de cause, les pouvoirs publics ne se saisissent pas de cette affaire pour réaliser des économies notables ? Y a-t-il un déni de cette problématique, l'idée du « ce n'est qu'un verre », autrement dit la culture de l'alcool, serait-elle à ce point difficile à ébranler ? Comment se fait-il que ce problème de santé publique soit si peu connu ?

Le Professeur Bérénice Doray, chercheuse et enseignante en génétique au CHU de Bellepierre à La Réunion me confirme la méconnaissance de ce problème au sein même du corps médical en particulier de sa génération. Militante de la première heure pour la création de dispositifs de recensement d’enfants atteints du SAF, elle transmet aujourd’hui à ses étudiants les données qui, il y a à peine trente ans, étaient ignorées par la médecine.


En même temps, cette réaction m’a intrigué et rassuré. En effet, voilà des personnes qui face à une découverte scientifique prennent des dispositions et n’hésitent pas à aller jusqu’au bout des enjeux en proposant une démarche qui se veut globale. Ces médecins, ces soignants interviennent dans le champ du social, du juridique, de l’éducation. Ils résistent contre des protocoles établis. Enfin, ils sont les premiers en France à s’être mobilisés aussi fortement et à proposer des solutions novatrices pour résorber le fléau, une audace qui défie la fatalité.

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